Interview de Léo Boegli, un prof pas comme les autres

Dans le monde il y a deux catégories de personnes : ceux qui aiment l’école et ceux qui n’aiment pas… Mouais pas terrible comme introduction, je vous l’accorde, mais si je vous dis qu’ici à Pinball Mag, il y a un professeur qu’on aurait adoré avoir ! Le genre de prof passionné qui te donne envie d’apprendre ! 

Bon, en même temps, difficile d’être objectif quand notre plus grande passion est au cœur de ce projet un peu fou…  enfin fou… peut-être pas tant que ça finalement !

Vous avez envie de vous laisser convaincre ? Alors partons à la rencontre d’un prof pas comme les autres !  

Bonjour Léo. Avant d’attaquer le vif du sujet, peux-tu te présenter ?

Bonjour, je m’appelle Léo Boegli, j’ai 45 ans, j’habite en Suisse, plus précisément dans le Jura à Moutier, petite ville industrielle où l’horlogerie et la mécanique sont des domaines d’activité dominants.

La première chose que je me suis dit en voyant ton projet sur les réseaux sociaux, c’est que j’aurais adoré avoir un prof comme toi quand j’étais gamin ! Quelles sont tes passions et surtout comment en es-tu arrivé  là ?

Énormément de choses me passionnent: Les jeux vidéo et le multimédia, la mécanique, l’impression 3D, le modélisme, le motocross, le parapente, le ski, etc… J’aime toucher à tout car il me semble que la vie est bien trop courte pour ne s’intéresser qu’à une seule chose, j’adore apprendre de nouvelles choses.

La plupart des passionnés du pincab sont généralement comme moi, des geeks quarantenaires nostalgiques de leur enfance, avec des profils professionnels assez variés. Mais on croise rarement des professeurs de collège ou de lycée.  Comment es-tu arrivé dans cette profession ?

Mon parcours professionnel est assez atypique dans le sens ou à 16 ans, n’étant pas très scolaire, j’ai commencé par faire un apprentissage de quatre ans comme polymécanicien avec option CNC [commande numérique par calculateur, les machines-outils commandées à distance – NDLR]. A la suite de cette formation, j’ai travaillé huit ans dans différentes usines de production mécanique (fraisage, tournage, assemblage).

La répétitivité des tâches dans le domaine m’a poussé à prendre un virage à 180 degrés. Déjà passionné de vidéo (film de freeride) je décide de recommencer, à 27 ans, un second apprentissage de concepteur en multimédia dans une école d’art et communication.

En sortant de cette formation, je monte ma propre entreprise pour faire de la création d’identités visuelles, de sites internet et de vidéos pour les entreprises de ma région. En parallèle, une école professionnelle me demande de faire un remplacement pour un cours photo avec des jeunes en difficulté scolaire. Un remplacement qui deviendra un job au fil du temps.

En 2016 la direction de l’école me demande de reprendre la gestion à 100% d’une classe d’année de préparation professionnelle, j’accepte et décide d’arrêter mon activité indépendante.

En 2019 je deviens officiellement enseignant des branches professionnelles en faisant une validation des acquis dans une haute école Suisse.

Effectivement, ton parcours est intéressant et on comprend mieux pourquoi et comment tu t’intéresses à autant de disciplines. 

Même si je garde en ligne de mire notre sujet principal (le fameux pincab), c’est intéressant de s’attarder sur le système éducatif suisse, notamment celui dans lequel tu opères, la formation professionnelle. Peux-tu nous présenter l’établissement dans lequel tu enseignes ?

Le Ceff est une école professionnelle qui regroupe quatre domaines principaux de formation professionnelle: “Commerce”, “Santé – social”, “Industrie” et “Artisanat”. 

Des apprentis viennent suivre des cours théoriques mais aussi pratiques dans ces quatre domaines qui sont répartis dans trois villes et villages du Jura-Bernois. 

Au Ceff de Moutier, je suis le responsable de la filière “Technique/Artisanat”, et je ne travaille pas avec des apprentis, mais avec des adolescents (entre 15 et 20 ans) qui ont terminé leur scolarité obligatoire et n’ont pas trouvé de solution professionnelle. Ces jeunes passent une année dans notre école pour essayer de trouver leur voie. Cette année s’appelle “Année de Préparation Professionnelle” (APP).  

Nous donnons des cours théoriques de base (mathématique, français, culture générale, etc…) pour combler les lacunes et consolider les acquis. Mais surtout, nous avons divers ateliers pratiques (mécanique, électricité, bois, chantier, dessins 3D) pour faire découvrir les différents métiers qui touchent à la filière. 

Le but de cette année est de trouver une place d’apprentissage mais également de mettre les élèves en situation professionnelle. Les stages en entreprise sont donc prioritaires sur l’école. 

Nous sommes environ dix enseignants par filière pour dispenser ces différentes branches et suivre les jeunes en stage. Personnellement, j’y enseigne les mathématiques, l’informatique, le dessin 3D, le choix professionnel (recherche de place de stage puis de place d’apprentissage) et la mécanique. 

J’adore mon métier et le contact avec les ados, pas toujours simple, mais je finis toujours par trouver un terrain d’entente avec eux. 

Merci pour toutes ces précisions Léo ! Passons maintenant au sujet brûlant, le pincab ! D’où te vient cet intérêt pour le pincab ? 

J’ai toujours adoré jouer au flipper. A l’époque, dans ma ville il y avait une salle de jeux avec une dizaine de flippers. J’ai énormément joué à Médieval Madness, Attack from Mars, T2, Ghostbusters et Monster Bash. Lorsque cette salle a disparu, j’ai continué d’y jouer sur ma console, je trouvais ça génial alors imaginez ma réaction quand j’ai découvert le pincab…

J’imagine bien oui 😁 … Tu en as un à la maison alors ?

Et non ! malheureusement, je n’ai pas encore de cab à la maison 😉 Mais ça ne saurait tarder, ce projet avec mes élèves m’a donné envie d’en faire un, chose que j’ai déjà commencé en parallèle du projet à l’école. D’ici la fin des vacances d’été, je pense bien pouvoir y jouer ! 

Comment en es-tu venu à proposer ce projet à tes élèves ? 

Je suis constamment à la recherche de projets à réaliser avec mes élèves et si possible interdisciplinaires. 

Par exemple, nous avons déjà réalisé avec eux :

• une imprimante 3d (avec un plateau de  400 mm et une tête d’impression à double extrusion),
• un vélo capable d’illuminer un sapin de noël,
• et il y a quatre ans j’avais proposé aux élèves de faire une borne arcade. Ce fut un franc succès. Les élèves y jouent encore actuellement durant les pauses. 

Cette année, lors d’une discussion afin de proposer un nouveau projet aux élèves avec mon collègue de l’atelier bois, il me parle de construire un flipper. Après quelques recherches sur internet, je suis tombé sur le pincab ! Ça y est, je  suis certain de tenir le projet idéal pour ce deuxième semestre 2023, un flipper oui mais virtuel.

Depuis le coup de l’imprimante 3D, ma direction me fait entièrement confiance et surtout me soutient toujours quand j’arrive avec une nouvelle idée farfelue, quelle chance ! Mon seul souci: finir le projet avant la fin de l’année.

Niveau pédagogique, ces projets sont extraordinaires pour ces élèves qui sont souvent un peu perdus et qui de plus, sont, pour la plupart, en échec scolaire… 

Ils me permettent de faire découvrir les différents corps de métier de l’Artisanat et Technique (Menuiserie,  Mécanique, Dessin technique, Electronique, Électricité, Informatique) autour d’une création ludique et fonctionnelle. De plus, cela montre à ces jeunes l’importance de travailler ensemble à un but commun et que de cette manière on peut faire de très belles choses.

Sur ce projet, nous avons même pu faire participer la seconde classe d’APP filière commerce qui est venue faire des photos et prendre des notes afin d’organiser une conférence de presse en fin d’année pour présenter le “Grand Ceff Pinball” au public. Un reportage radio et une page entière dans deux journaux régionaux ont encore valorisé le projet et ces élèves qui en ont souvent bien besoin.

Abordons maintenant le sujet qui fâche : le budget ! Comment ça se passe quand on va voir son directeur avec un tel projet ? c’est “carte blanche”… ou pas ?

J’ai commencé par calculer un budget minimaliste pour réaliser un pincab très simple sans toys avec deux écrans et pas mal de matos de récupération (PC, écrans, sons) Comme ce budget n’était pas très élevé, ma direction me l’a accordé sans problème. Une fois ce premier cab jouable, le succès dans l’école fut tel que le budget pour amélioration est tombé tout seul 😁     

Ah, ah, bien joué !  👍

Avant Noël nous avions également fabriqué le vélo, dont je t‘ai parlé précédemment. Cet engin qui a été mis en avant par les médias régionaux (oui, ma direction aime organiser des conférences de presse 😜 ) a pu être loué à plusieurs villes et villages pour animer les marchés de Noël. Comme tu l’auras compris, les bénéfices de ces locations ont été directement injectés dans notre “Grand Ceff Pinball”!

La classe ! Bravo ! Venons-en aux acteurs de ce projet : les élèves justement ! Comment ont-ils accueilli ce projet ?

• (Dylan) : Quand on m’a fait part du projet au début, j’étais plutôt content parce que les anciens élèves APP avait pu faire une borne Arcade et le fait que l’on puisse construire un flipper m’a beaucoup plus. 

• (Miguel) : Au début je me suis dit que ça allait être trop long, donc que je n’allais pas aimer car je pensais impossible que l’on puisse le finir avant la fin de l’année mais au fil du temps j’ai vu qu’on pouvait finalement voir le produit fini et cela m’a énormément motivé. 

• (Thomas) : Je ne pensais pas que le flipper serait comme il est aujourd’hui, donc je pensais que c’était moyen comme idée mais quand j’ai vu l’avancement et ça m’a beaucoup plu.

• (Mathias) : J’étais plutôt mitigé car je n’imaginais pas la finalité du produit, plus on avançait plus mes ressentis étaient positifs.

• (Dylan, Thomas, Mathias, Miguel) : Des débuts compliqués, on ne savait pas comment anticiper le résultat. il y avait trop de choses à faire.

• (Dylan, Thomas) : La complication principale était la compréhension informatique notamment sur les différentes installations à faire, les programmes PinUp et VPX étaient ceux où l’on a rencontré le plus de difficultés (installation manuelle). Nous avons découvert le fullcab après coup (nous pensons que notre enseignant nous l’avait caché), mais nous sommes fiers d’avoir réalisé l’installation complète nous-mêmes.

• (Dylan, Thomas) : Également les composants nécessaires sur l’ordinateur vis-à-vis des programmes et des jeux, au début nous avions un vieil ordinateur avec des composants de basse qualité, étant donné que vpx est assez gourmand, très vite nous avons rencontré des problèmes. Pour remédier à cela on a premièrement commandé une carte graphique plus puissantes (RTX 3060), malgré ce changement on s’est rendu compte qu’il fallait également changer le processeur qui ne suivait pas la carte graphique. 

• (Dylan, Thomas, Mathias, Miguel) : Au début du projet on partait sur un flipper de base, sans aucun toy (options pour le réalisme), mais au fil du temps cela a beaucoup changé. On a ajouté de nombreux toys comme des hauts parleurs vibrants (SSF V2), Un shaker, un knocker, une meg qui à été récupérée sur une vieille Peugeot 205 par une de nos potes dans un garage ou il a fait un stage, une cloche et finalement même une série de 5 contacteurs. 

• (Mathias, Miguel) : Dans le câblage, nous avons eu beaucoup de travail comme mettre les câbles à la bonne place, ranger les câbles pour l’espace dans le flipper sinon aucun gros souci cela s’est plutôt bien passé, mise à part qu’un câble audio défectueux était sur le flipper qui a pris feux mais rien de grave et aucun dégât n’a été causé.

Au-delà de l’objet, aviez-vous un engouement particulier pour le flipper ?  

• (Dylan) : Au départ, l’engouement que j’avais pour les flippers était négatif, ce n’est pas un jeu qui m’attirait. Mais maintenant j’ai clairement changé d’avis, ce n’est pas un jeu auquel je jouerais tout le temps mais c’est un excellent moyen de divertissement. 

• (Miguel) : Je jouais déjà à des flippers avant ce projet sur ma console de jeux, donc j’aimais ça et le fait de faire ce projet avec des vrais boutons et un flipper réaliste n’a fait qu’augmenter mon attrait. Si je pouvais je l’achèterais sans hésiter !

• (Thomas) : J’avais également déjà joué dans le passé mais ce n’était pas le jeu que je préférais, ce n’était pas mon style, mais après avoir construit ce pincab, j’apprécie beaucoup y jouer. 

• (Mathias) : J’aimais déjà pas mal car j’ai eu la chance de jouer avec des flippers mécaniques et ce projet m’a donné envie d’y jouer plus et de m’intéresser aux flippers virtuel. Pourquoi pas en fabriquer un dans quelques années.

Au début, on pensait que c’était impossible de le terminer en six mois, mais au fil des réussites et de l’avancement du pincab, on a tous changé d’avis, et nous nous sommes tous mis à fond dans le projet. 

Le résultat final a dépassé totalement nos attentes et nous sommes fiers de ce que nous avons pu réaliser et de ce que nous avons appris malgré toutes ces difficultés.

Vous pouvez être fiers de vous, c’est amplement mérité ! le “Grand Ceff Pincab” a vraiment fière allure et je suis sur que beaucoup de membres de la communauté ont le même avis que moi 😘

Je reviens vers toi Léo, est-ce qu’il y aura d’autres pincabs dans les années à venir ? 

Oui je pense. A la vue du résultat final, plusieurs personnes de l’école et de mon entourage m’ont proposé de l’acheter et mon directeur m’a déjà demandé si je pensais en faire un nouveau l’année prochaine. Je pense que je vais partir sur un pincab avec écran 4K  et full options avec la prochaine volée d’élèves. De plus, tout dernièrement, un groupe de travail de l’école s’est approché de moi pour présenter un cab dans un salon de la formation où le ceff  sera l’invité d’honneur en mai 2024.

Hâte de suivre ce nouveau projet 😉 

Un grand merci à toi Léo et à ta classe pour vous être prêtés au jeu de l’interview. J’espère que cela donnera des idées à des professeurs de l’autre côté du Jura. 😜

Un dernier message pour conclure  ?

En janvier, j’ai décidé de partir sur ce projet de pincab, sans rien y connaître. Aujourd’hui mercredi 28 juin, il est complètement terminé et le résultat est à mon sens incroyable.

Je tiens sincèrement à remercier mes élèves, car c’est grâce à eux que ce projet à pu aboutir en si peu de temps. 

Vraiment BRAVO les gars vous êtes vraiment au top : Baechler Kilian, Baeriswyl Mathias, Bélat Robin, Diallo Abdoulaye, Dibenedetto Reyan, Février Enzo, Grindu Thomas, Kiala Voldi, Maestrani Tom, Moszczanski Yannick, Rocha Dylan, Vieira dos Santos Miguel. 

Enseignants : Damien Rossé & Léo Boegli