Le flipper Bram Stoker’s Dracula | Williams | Le rétro test

S’il y a bien une constante dans les machines Bally/Williams des années 90, c’est leur humour omniprésent. C’est d’ailleurs l’un des aspects qui a forgé leur réputation et qui a fait leur charme. Quel que soit le thème abordé, on a systématiquement la petite animation du dot qui prête à sourire, le mode de jeu fun, le call-out qui va bien ou la musique entrainante.

Il faut bien le dire, dans ce paysage « flipperistique », le Bram Stoker’s Dracula (BSD pour les intimes) fait office de vilain petit canard. De par son thème déjà, mais aussi par la façon de le l’aborder. Gameplay, ambiance sonore, animation du dot, design… tout rappel la peur, la mort, le sang et la vengeance de l’amour perdu de ce bon vieux Vlad Dracul.

Là où les flippers aux thèmes plutôt sérieux, tirés de films ou de séries parfois même horrifiques, sont devenus assez courants aujourd’hui (Walking Dead chez Stern ou bien plusieurs modèles dans cet esprit chez Spooky Pinball par ex.), c’était clairement moins en vogue dans les années 90.

Alors aujourd’hui, on s’attaque à ce classique de Williams. Prenez vos gousses d’ail, votre pieu et passez-vous une petite laine, on file dans le froid des Carpates pour décortiquer cette machine si… particulière.

I never drink… wine.

C’est à Barry Oursler (Gorgar, Fire!, Cyclone, Dr Who…) que l’on doit principalement le game design de ce Bram Stoker’s Dracula, tiré du film éponyme de 1992 réalisé par Francis Ford Coppola (le flipper lui, sortira quelques mois plus tard, en 1993).

Il aura la lourde tâche de retranscrire au travers d’un jeu, l’ambiance si pesante et angoissante de ce film qui s’apparente pour certains à une véritable œuvre d’art.

Mais avant de parler du gameplay, attardons-nous sur le design de cette machine, car à l’instar du film, l’aspect visuel y tient une place toute particulière.

La caisse, tout d’abord, jouit d’un effort considérable dans l’artwork qui la recouvre. On retrouve le village de Transylvanie surplombé par le château du Comte, dans des nuances de bleu au milieu d’une nuit noire ou seule la Lune se démarque par un jaune bien prononcé sur les côtés du fronton. Le tout recouvert par l’inscription « Bram Stoker’s Dracula » dans un rouge… sang, bien évidemment. C’est beau, c’est détaillé et ça donne le ton !


Le translite lui, est un mix entre certaines scènes cultes du film et quelques acteurs principaux (dont Anthony Hopkins et Gary Oldman) façon photomontage et le moins que l’on puisse dire, c’est que ce n’est ni joli, ni savamment réalisé. La disposition des éléments n’a pas réellement de cohérence si l’on se réfère au film et le rendu fait office de patchwork brouillon. Je ne parle même pas du Comte de Dracula, qui est représenté dans sa version la plus laide possible, en gros plan sur la quasi-totalité du translite.

Au moins, on reste fidèle au thème me direz-vous, mais alors pour ce qui est d’attirer le joueur au milieu de plusieurs machines, c’est pas gagné !

Heureusement le playfield lui, rattrape plutôt bien le coup puisqu’il propose un bel éventail de toutes les scènes du film au travers d’un artwork riche, complexe et bien disposé. En complément et à défaut d’avoir de gros toys bien visibles, on retrouve néanmoins tout un tas de décors qui viennent apporter du volume et de la « 3D » donnant un peu plus de vie sous la glace, avec notamment :

  • Le château du Comte Dracula sur la droite, qui sert de lock de billes
  • Le village de transylvanie sur la gauche, qui camoufle plusieurs eject holes
  • Le cimetière en haut à gauche, qui habille la rampe principale
  • Et bien entendu, le tombeau de ce cher Dracula, accessible par un trou secret, caché sous une rampe (On notera qu’une figurine représentant Dracula est présente et visible par transparence lors de certaines phases de jeu)

Même si la finition d’origine de ces éléments laisse un peu à désirer (les versions présentées dans cet article ont d’ailleurs été entièrement repeintes par mon ami de Z Axis Studio), on ne peut que souligner l’effort de Williams de doter sa machine de décors pleins et non pas de simples plexis imprimés.

NB : A l’origine, le BSD contient des décors de slingshots à deux étages : les briques du château dans le prolongement du playfield en premier puis des slingshot covers représentant deux acteurs du film (Keanu Reeves et Winona Ryder) fixés dessus grâce à des entretoises.
Sauf qu’aucun modèle n’a été pourvu de ces fameux slingshot covers lors de la production (contrairement à ce que l’on peut voir sur le flyer promotionnel).
Barry Oursler expliquera des années plus tard, sans le nommer, que l’un des deux acteurs n’a finalement pas donné son accord pour l’utilisation de son image.
Sauf que Williams avait déjà produit tout son stock de plastiques de rechanges, incluant ces deux pièces.  Elles étaient donc disponibles à la vente juste après la sortie de la machine et il était alors très facile de se les procurer.
Pièces originales NOS (New Old Stock) ou reproductions fidèles, il s’agit d’un indispensable si vous souhaitez retrouver cette machine avec son « vrai » design.

Avouez que c’est plus joli avec ces slingshots à deux étages non ?

Pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple ?

La génération des dots marque souvent l’arrivée des flippers à mission, comprenez par là : les machines qui disposent d’un début et d’une fin (un wizard mode)  où un enchainement de différentes actions doit se faire dans un ordre précis pour y parvenir.

Et bien avec le Dracula, oubliez ça ! Williams a pris le parti de faire un flipper à scoring doté de plusieurs actions à effectuer dans l’ordre que vous souhaitez, tout en jouant avec les multiplicateurs et les bonus.

En complément, cette machine vous permet de stacker vos multiballs. Vous pouvez lancer un multiball puis un autre en même temps, ce qui fait grossir votre nombre de billes sur le plateau et mixe vos objectifs. Inutile de vous dire que ce genre de stratégie fait monter le multiplicateur bonus et vous assure ainsi de gros scores de fin de partie.

Malgré cette simplicité dans l’approche, le gameplay reste fourni et on ne risque pas de s’ennuyer vu le nombre de choses à faire. En vrac on retrouve :

  • Les rats à tuer, en shootant un certain nombre de cibles ou en activant suffisamment de switchs
  • Les chauves-souris à faire fuir, sur le même principe de cibles/switchs
  • Le Castle Multiball qui s’obtient en lockant ses billes via la rampe dédiée
  • Les loups à tuer dans un vidéo mode (à la manière d’un jeu de tir à la première personne, vous devez leur tirer dessus à l’aide des boutons du flipper. Le tout en économisant vos balles et en attendant le dernier moment pour les viser pour ainsi faire de plus gros scores)
  • Le Mist Multiball et sa fameuse bille fantôme qui traverse le plateau au son du « Winds, winds, wiiiiiiinds ! » de Dracula
  • Les différentes rampes (avec diverter) qui lancent des actions précises
  • Le Coffin Multiball, où vous devrez abattre Dracula de 3 pieux dans le cœur en envoyant vos billes dans son cercueil
  • L’asile où est enfermé Renfield, accessible quasi uniquement par hasard tant la trajectoire de bille pour y parvenir est tordue !
  • Un skill shot bien particulier, pour lequel différents scores apparaissent sur l’écran. Vous devez envoyer votre bille dans une cible tombante cachée au fond du plateau au bon moment pour valider le score correspondant
Il faudra aller le chercher en jeu, ce fameux cercueil de Dracula !

Le tout avec une rapidité de jeu et un flow qui ne vous laisse aucun répit !

En bref, vous l’aurez compris, ce n’est pas parce que nous n’avons pas affaire à un gameplay complexe que ce flipper ne dispose pas d’une multitude de bonnes idées, de subtilités de gameplay ou de mécaniques innovantes.

Crois en la magie, Moldu !

D’ailleurs, parmi ces mécaniques, on retrouve à nouveau Zofia Bil (conceptrice du mini playfield à 3 étages du Dr Who) aux manettes de la création d’une fonctionnalité toujours aussi impressionnante 30 ans plus tard : La bille fantôme.

Lancée au travers du Mist Multiball, une bille captive logée sous le château de Dracula se paye le luxe de traverser tout le plateau sous vos yeux, en suivant un halo vert sur le playfield représentant le brouillard démoniaque, attendant d’être percutée par une deuxième bille pour ainsi être libérée et vous offrir un multiball de 2 billes.

Bon, on ne va pas se mentir, cette « magie » est quelque peu gâchée par le « crrrrr… crrrr… » du moteur de l’aimant qui traverse le plateau en maintenant cette bille en pseudo lévitation, ainsi que par la conception même de cette fonctionnalité, franchement capricieuse, surtout après des années d’exploitation.

Zofia a en effet joué avec un principe d’optos (des cellules optiques qui réagissent à la lumière) longue portée pour permettre ce tour de passe-passe et malheureusement, le séquencement de tous ces optos en même temps nécessite aujourd’hui de ruser un peu pour fiabiliser ce mécanisme et éviter les billes qui chutent sans cesse, hantise de tous les propriétaires de ce modèle.

C’était malgré tout osé pour l’époque et à l’heure actuelle, aucun autre flipper n’a pu se targuer d’une telle prouesse technique. Alors fiable ou pas, on ne peut que saluer cette prise de risque qui a rendu cette fonctionnalité culte pour quiconque ayant déjà posé ses mains sur cette machine.

Regarder cette bille traverser toute le plateau et venir se cacher sous le décor opposé fait toujours son petit effet…

Un « world under playfield »

Vous le savez, chez Pinball Mag. on parle souvent du « World Under Glass ». Autrement dit, de toute la richesse qui compose le plateau d’un flipper et de la beauté que représente la mise en mouvement de tous ses éléments. C’est finalement ce qui donne vie à nos machines.

Dire que je voulais juste changer une ampoule…

Et bien sur le BSD, on peut véritablement parler de « world under playfield » tant ce modèle est fourni en éléments au-dessus mais aussi en dessous du plateau.

La raison ? le nombre de trous disposés sur le plateau qui sont reliés entre eux par des tunnels sous ce même plateau (des « cellar holes ») et qui, en jeu, permettent d’accentuer le côté angoissant et mystérieux de cette machine: Une bille rentre par un trou en haut du plateau puis ressort en bas sous un décor, ou bien rentre par un trou caché derrière une cible tombante, pour ressortir par un autre trou caché à l’opposé du plateau… C’est bien simple, sur les premières parties on voit les billes disparaitre sans jamais savoir à quel endroit elles vont ressortir, ni à quelle vitesse !

Cette particularité qui donne tout son charme à cette machine lorsque vous y jouez se transforme en véritable enfer dès lors que vous devez effectuer la moindre opération de maintenance sous plateau.

Viens boire mon p’tit cou à la maison…

Vous l’aurez compris, que ce soit côté design ou bien côté gameplay, tout colle plutôt bien avec le thème. L’ambiance générale, quant à elle, n’est pas en reste pour autant.

Tout d’abord avec les animations de l’écran qui sont délicieusement gores (croyez-moi, ce n’est clairement pas une chose que l’on a souvent vu chez Bally/Williams) et qui rendent parfaitement hommage au film. Qu’il s’agisse des pieux que l’on enfonce dans le cœur de Dracula, du vampire qui plante ses dents dans le cou de Mina, des loups que l’on abat froidement dans une gerbe de sang, des femmes vampires de Dracula qui se transforment en horribles créatures, du sang qui coule au-dessus de certaines animations… C’est suffisamment varié et bien exécuté pour que ce soit aussi plaisant que peu ragoûtant à regarder, et c’est finalement tout ce qu’on attend d’un flipper comme celui-ci.

NB : Vous noterez une petite particularité d’origine sur cette machine : La vitre du speaker panel est teintée en rouge, ce qui remplace donc l’affichage classique Noir/Orange du Dot Matrix Display par un Noir/Rouge sang pour coller un peu plus au thème (Vous devrez donc changer l’intégralité de cette pièce si tant est que vous souhaitiez changer l’écran d’origine par un écran en couleurs)

Du sang, du sang partout !

Côté son, c’est peut-être là où l’ambiance pêche un peu. Non pas que les musiques ne soient pas bonnes, bien au contraire, mais il s’agit simplement des contraintes techniques du chipset sonore de l’époque qui rendent ce fameux son nasillard pas toujours très agréable à l’oreille, surtout à la longue.

Encore une fois, il faut remettre ça dans le contexte de l’époque et dès sa sortie, c’était bien évidemment tout à fait honorable.

Disons qu’aujourd’hui, pour lui redonner une seconde jeunesse (et croyez-moi, il le mérite), on ne passera pas à côté d’une carte son Pinsound et d’un mix reprenant les musiques du film de Coppola.

Les call-out sont, quant à eux, tirés du film et pour la plupart, de Dracula himself, on pourrait donc difficilement faire mieux. De ce côté-là, rien à dire, c’est parfait.

C’était un chef Dace, un grand mec tout bizarre avec les dents pointues !

Si on met tous ces éléments bout à bout, ça donne un savoureux mélange aussi inattendu que qualitatif ! Certes, cette machine n’est pas celle qui attirera votre attention en priorité au milieu d’autres modèles peut-être visuellement plus attrayants et pourtant… Je ne peux que vous conseiller de vous y attarder si vous en avez l’occasion.

Elle dispose d’une véritable ambiance à la fois lourde, pesante, triste et romantique dans la pure lignée du film, le tout sublimé au travers d’un gameplay terriblement addictif.

Et c’est bien là toute la force de cette machine : sa replay value (ndlr : capacité à revenir jouer sans se lasser à un même jeu) incroyable au regard de sa simplicité de jeu. Et c’est finalement peut-être ça qui a fait tout son succès. Elle est simple à comprendre, elle est fun, elle est rapide et on y retourne avec grand plaisir.

Fiche Technique

GENERAL :

Fabricant : Williams (Midway Manufacturing Company)
Date de production : Avril 1993
Thème : Fiction / Licence de film
Type : Solid State / Standard Body
MPU : Williams WPC (Fliptronics 2)
Abréviation : BSD
Unités produites : 6 801

Welcome to…

TOYS / PARTICULARITES :

La Mist Ball : bille « fantôme » qui traverse le plateau dans sa largeur grâce à un système d’aimant et d’optos longue portée

Le Coffin (cercueil) : reproduction du cercueil de Dracula dans lequel traversent les billes pour venir tomber au milieu des pop bumpers durant certaines phases de jeu (accessible via un trou caché sous une rampe)

FONCTIONNALITES NOTABLES :

  • Flippers (2)
  • Pop bumpers (3)
  • Slingshots (2)
  • Standup targets (6)
  • Drop target (1)
  • Rampes (2)
  • Diverter (1)
  • Cellar holes (3)
  • Multiball (4 billes)

ÉQUIPE TECHNIQUE ET ARTISTIQUE :

Game Design : Barry Oursler, Mark Sprenger
Mécanique : Zofia Bil
Software : Bill Pfutzenreuter
Artwork : Mark Sprenger
Son : Paul Heitsch
Musique : Paul Heitsch
Dots/Animation : Scott Slomiany

…the Carpathians
Syl Vain
Syl Vain
Fan de pop culture des années 80/90, collectionneur compulsif et partisan du "c'était mieux avant !"

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