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Gottlieb, fabricant de flippers de 1931 à 1996
Ah, Gottlieb, cette marque dont on entend tant parler de nos jours ! Certains diront qu’elle est connue pour ses flippers au design parfois anachronique à l’ère des dots, d’autres qu’elle a connu son âge d’or à l’air des flippers mécaniques, d’autres encore que c’est l’une des marques qui a produit le plus grand nombre de bons flippers… Et nous allons tenter d’expliquer pourquoi cette marque fait tant débat aujourd’hui et est parfois considérée par certains pinheads comme étant moins intéressante que ses compétiteurs…
L’histoire de Gottlieb
Les débuts de David Gottlieb
Tout commence en 1931, lors de la Grande Dépression aux Etats-Unis, quand David Gottlieb, fondateur d’une entreprise de jeux automatiques en 1927, décide de réadapter le jeu de la bagatelle. Il propose ainsi une nouvelle forme de divertissement peu coûteuse dans les cafés et autres lieux publics. Le succès du « Baffle Ball » est total. Sorti quelques mois après leur première bagatelle, il se vend à plus de 50 000 exemplaires. Cette victoire conduit l’entreprise à produire de nombreux jeux similaires les années suivantes, reposant toujours sur ce même principe : une planche avec des clous, une bille que l’on peut lancer selon l’intensité de son choix et des trous pour marquer des points. C’est d’ailleurs dans ces mêmes années que le mot « pinball » va être inventé, étant la contraction des mots « clou » et « bille » en anglais. En 1932, Bally se lance dans la compétition et sort lui aussi une machine qui s’apparente à un jeu de bagatelle. Le « Ballyhoo » se vend à près de 50 000 exemplaires également. De cette compétition naît un désir d’innovation accru. Chacune des deux marques inventera les mécanismes que l’on connait aujourd’hui…
L’ère de l’électromécanique : l’âge d’or pour Gottlieb
Au milieu des années 1930, les divers fabricants cherchent un moyen de rendre leurs flippers plus attractifs. En effet, il est souvent dit que les jeux se jouent toujours de la même façon et manquent d’action. Suite à ces remarques, un concurrent de Gottlieb va commencer à utiliser les bobines, essentielles pour déplacer la bille d’un trou à un autre et émettre des sons de cloche. Il invente également le tilt, remarquant que les joueurs ont tendance à soulever le bas de la machine pour faire remonter la bille. Les flippers dits électromécaniques, sont nés. S’ensuivent quelques années de diverses innovations jusqu’en 1947, où Gottlieb marque un tournant dans l’histoire du flipper avec une innovation qui change la donne : Le batteur. En effet, cette « raquette » que nous utilisons pour renvoyer la bille et faire nos tirs a été inventée par Gottlieb en 1947. On l’aperçoit pour la première fois sur le flipper Humpty Dumpty, une machine révolutionnaire qui a changé la façon de jouer. Pour la petite anecdote, les batteurs de cette machine étaient montés dans le sens inverse par rapport à celui que l’on connaît aujourd’hui, le batteur de gauche s’inclinant dans le sens des aiguilles d’une montre et le droit l’inverse. Assez rapidement, tous les constructeurs se mettent à installer des batteurs pour contrôler la bille. La disposition de batteurs actuelle devient la norme. Gottlieb continue alors dans sa série d’idées innovantes et sort d’autres machines révolutionnaires comme par exemple le Super Jumbo en 1954, qui est le premier à pouvoir faire une partie à 4 joueurs. Le Airport, en 1969, introduit la vari-target, une cible qui score plus ou moins selon la force avec laquelle elle est poussée. Dans les autres innovations notables, citons également les rangées de cibles tombantes, la roto-target et bien plus… D’ailleurs, toutes ces innovations ont fait de Gottlieb le leader incontesté du flipper électromécanique.
Le passage à l’électronique
Vers 1975, certains fabricants de flipper et notamment Bally commencent à sortir des flippers électroniques, où l’ensemble des relais, moteurs, cames, et autres organes électromécaniques de commande sont remplacées par des cartes de circuits imprimés. Ils embarquent un microprogramme (le code) et des écrans digitaux pour afficher le score. Le succès est immédiat et les ventes de flipper électroniques explosent, au détriment de celles des électromécaniques. En effet, le grand public est captivé par l’arrivée des jeux électroniques, qui est quelque chose de tout nouveau à l’époque.
L’arrivée de ces nouvelles machines va pousser Gottlieb à agir. Pourtant ils se plaisaient dans le flipper électromécanique et en étaient les leaders, alors pourquoi passer sur une nouvelle technologie ? Eh bien tout simplement car seulement deux ans après, en 1977, la majorité des fabricants ne proposait plus que des flippers électroniques !
C’est donc en décembre de cette même année que Gottlieb sortira son premier flipper électronique : Le Cleopatra. Toutefois ce dernier sortira également dans une version électromécanique, ainsi que les 7 jeux suivants, preuve d’un amour de la marque pour cette technologie. Leur première génération de cartes électroniques, la System1 aura d’ailleurs des capacités se résumant plus ou moins à celles d’un flipper électromécanique, bien que les 8 jeux suivants, non déclinés en électromécanique furent un peu plus évolués. Nous pourrons toutefois noter les choix techniques suivants :
- Les afficheurs sont fluorescents, plus fiables et lisibles que ceux de la concurrence
- Certains organes du flipper sont toujours commandés de façon électromécanique (bumpers, slingshots…)
- Pour les flippers produits en version électronique et électromécanique : Le score maximal affiché est plus élevé, le high-score est mémorisé et les multiplicateurs montent plus haut
Nous pouvons donc entrevoir, via cette première génération de cartes qui aura été utilisée de 1977 à 1980 que le passage à l’électronique a probablement été anticipé chez Gottlieb. Mais ils n’avaient sûrement pas prévu d’arrêter l’électromécanique avant les années 80.
Les années 80 : Le tour de force de Gottlieb
En 1980, Gottlieb dévoile la carte qui remplacera la System1 : La System 80. Elle est utilisée pour la première fois dans le pinball Spider-Man, sorti en mai, et est considérablement plus évoluée que la précédente : Light Shows, attract mode, mémoire de progression dans le jeu, capacité de commande décuplée… Elle permet la création de jeux à faire pâlir la concurrence, comme le Black Hole, un flipper légendaire et avant-gardiste en son temps avec un plateau inférieur, un multibille sur deux niveaux, et j’en passe ! Elle autorise également un nouveau type de parties se jouant en temps limité, avec James Bond 007, bien que ce mode de jeu ait reçu un accueil mitigé. Elle est déclinée en une première variante en 1982. La System 80a permet des règles de jeu plus complètes et des afficheurs montant jusqu’à 9.999.990 points.
C’est en 1985 que sort la deuxième variante, la System 80b. Elle révolutionne le marché du flipper en introduisant l’affichage alphanumérique, autorisant les chiffres et les lettres, d’entrer ses initiales lorsque l’on bat un des high-scores et bien plus… Les nouvelles capacités de mémoire de cette variante permettent également aux règles d’être plus abouties et proposent de meilleurs jeux de lumières avec flashers.
Les flippers Gottlieb de cette époque possèdent une différence par rapport à la concurrence : ils s’appuient presque tous sur des thèmes sans licence. Certains des flippers sont néanmoins inspirés de films (par exemple le Gold Wings pour Top Gun) mais n’en ont pas les droits.
Le passage aux années 90
Fin 1989, Gottlieb introduit sa nouvelle génération de cartes électroniques : La System 3.
Cette carte propose des fonctionnalités décuplées par rapport à la précédente et à ses concurrentes et se révèle d’une fiabilité à toute épreuve. Le premier jeu à en être équipé est le Light Camera Action, un excellent jeu qui ne connaîtra pas le succès qu’il mérite (avec environ 2000 unités produites).
C’est en 1990 que Gottlieb décide de lancer un nouveau format de jeu qu’ils appellent les « Street Level Games ». Dépourvus de rampes, légèrement plus petits et moins chers, ils embarquent la toute dernière électronique et proposent un gameplay plutôt avancé, avec par exemple l’arrivée du premier Wizard Mode de Gottlieb sur le Deadly Weapon en 1991.
Cependant, le succès de cette série de jeu décline machine après machine, passant de plus de 2000 unités pour le Silver Slugger, a moins de 900 pour la dernière, le Hoops. Probablement en raison de leur plateau qui paraît visuellement moins chargé que les autres.
Gottlieb se remet alors à faire des jeux au format traditionnel, dotés de rampes et d’un plateau grand format, qui connaîssent un grand succès et sont devenus emblématiques aujourd’hui.
L’ère du Dot Matrix : Gottlieb anachronique ?
En avril 1992, Gottlieb dévoile son tout premier flipper Dot Matrix Display : Le Super Mario Bros. La marque rattrape au passage son léger retard sur les concurrents, qui étaient passés au Dot l’année précédente. A noter qu’à l’inverse de autres acteurs, Gottlieb réutilise sa carte System 3, en raison de ses capacités techniques déjà très avancées lors de sa sortie.
Mais alors, pourquoi dit-on de la génération DMD de Gottlieb qu’ils manquent d’originalité ou ne sont pas assez profonds dans leurs règles ? Eh bien probablement parce que sur le flipper Super Mario Bros, le gameplay n’est pas beaucoup plus évolué que la grande majorité des alphanumériques sortis les années précédentes, contrairement aux Dot des adversaires. En effet, seules quelques missions existent sur ce flipper ainsi que sur la plupart des dots de Gottlieb sortis par la suite.
Pourtant les flippers de Gottlieb ne sont pas anachroniques en soit, ils proposent tout simplement des règles différentes que celles proposées par les autres marques, notamment Williams et Bally. Ils s’adressent à un public qui préfère les flippers au scoring plus simple et compréhensible que celui d’un flipper comme le Twilight Zone par exemple. Le flipper qui illustre parfaitement cela est le World Challenge Soccer : sorti pour la coupe du monde de football de 1994, il est quasiment identique au Car Hop, un flipper alphanumérique de la série Street Level commercialisé quelques années plus tôt. Son gameplay est fun, mais le jeu n’a pas la profondeur et les missions que peuvent avoir les marques concurrentes la même année.
Toutefois ne généralisons pas, certains dots de Gottlieb proposent des règles excellentes. Par exemple le flipper Stargate est reconnu par l’ensemble des pinheads comme étant un flipper au gameplay avancé et au layout intéressant. On pourrait aussi citer le Street Fighter 2 dont la finale est très difficile, et le Gladiators avec son excellent flow.
C’est en 1996 que Gottlieb cessera son activité dans les flippers. Les investisseurs trouvent que la branche flipper de l’entreprise n’est plus assez rentable. La dernière machine produite par Gottlieb est le Barb-Wire, sur le thème du film du même nom avec Pamela Anderson. Le flipper Brooks and Dunn est en préparation lors de la fermeture de l’entreprise, il en existe seulement un prototype.
Gottlieb : l’innovation jusqu’à la fin
Pour conclure cet article, voici une marque qui connaît des débuts triomphants, en inventant le mécanisme au cœur de chaque flipper et en devenant rapidement leader à l’époque des flippers électromécaniques. Mais elle ne s’adapte pas assez rapidement lors du passage à l’électronique, et propose des jeux à la conception trop proche des électromécaniques dans un premier temps. Dans les années 80, elle revient sur le devant de la scène avec un système électronique révolutionnaire et propose des machines innovantes qui rivalisent avec les gameplays les plus avancés. Soulignons toutefois l’absence de machines à thème dans la deuxième moitié de cette décennie.
Dans les années 90, la marque change de stratégie, et propose des flippers ayant une approche différente de celle du reste du marché, tout d’abord avec les jeux de la série Street Level, sur un niveau et sans rampes, puis avec quelques-uns de leurs dots avec des règles assez simples, semblables à celles des flippers alphanumériques.
Et c’est probablement pour cette raison que les flippers de Gottlieb sont qualifiés à tort « d’inférieurs » à leurs concurrents. Car si cela semble vrai pour un gros joueur, friand de missions complexes et de wizard modes, il ne faut pas oublier que clientèle a et sera toujours composée d’une partie de néophytes et joueurs occasionnels, à qui les machines de Gottlieb semblent plus familières !
Vive le flipper, et vive Gottlieb, qui a apporté la plus belle des pierres à l’édifice.
Auteur : Aaron