Louer un flipper

Louer un flipper, c’est lutter contre le schéma social qu’on nous impose ! Dans un monde où la possession est érigée en baromètre de notre réussite sociale ; dans un monde où les riches écrasent les pauvres sous des montagnes de produits qui ne compensent que la vacuité de nos existences modernes ; dans un monde où la production industrielle écorche la Terre pour des matières premières qui asphyxient les poumons des bébés phoques affalés et moribonds sur une banquise qui disparaît encore plus vite que notre humanité agonisante… Et alors que… Est-ce qu’il faudrait pas… Non, mais c’est pas malheureux ? Comment a pu t-on en arriver là ? Ne laissons pas ce scandale se répéter ! Heu attendez, j’ai perdu le fil.

Qu’est-ce que je voulais dire, déjà ? Ah oui, je vais faire plus simple pour éviter de m’égarer : acheter, toujours acheter. On pourrait pas louer ? Surtout quand nos flippers préférés dépassent allègrement les 10 000€, le prix d’une Dacia Sandero toutes options.

Trève de galéjades, passons en revue les arguments en faveur ou défaveur du modèle à la location dans le petit monde du pinball. Et j’en profite pour dépoussiérer un plan en trois parties façon thèse/antithèse/synthèse, la base d’une rhétorique je n’avais plus utilisée depuis 20 ans. Me voici tout ragaillardi.

Louer un flipper, un modèle qui semble évident…

De prime abord, sur le marché du flipper, l’intérêt d’un modèle à la location paraît évident à la fois pour le particulier et pour le professionnel.

Stéphane et Joana de High Voltage Pinball

Côté particulier, les modèles de paiement à l’usage se démocratisent pour les produits qui nécessitent un fort investissement, comme les voitures neuves. Le flipper est donc éligible, vu que son prix neuf équivaut à celui d’une auto d’entrée de gamme (rapport à la Dacia Sandero, vous suivez ?).

L’effort financier est donc lissé pour le pinhead. Il peut d’ailleurs décider de n’accueillir une machine que pour 6 mois si le coeur lui en dit (ou après négociation, car on sait qu’il faut insister longtemps auprès de sa moitié pour faire entrer un engin clignotant et bruyant dans son salon).

D’autre part, l’équipe High Voltage Pinball, distributeur de flippers en Belgique, résume parfaitement l’intérêt pour les professionnels : « Il s’agit d’une partie de nos activités qui nous permet d’avoir des revenus stables ». Dans un marché soumis aux aléas des importations depuis les Etats-Unis, avec un seul fabricant fiable (Stern Pinball) dans sa production, nos revendeurs acquièrent un peu de sérénité avec un modèle à la location. Les rentrées d’argent sont alors prévisibles et régulières, un luxe pour n’importe quel commerçant !

… Mais qui s’avère compliqué pour les professionnels

Mais alors, comment se fait-il qu’il ne s’agisse pas du modèle dominant, au moins pour les flippers neufs ? Parce qu’opérer un modèle à la location s’avère plus difficile à mettre en œuvre que ce que l’on pense.

Tout d’abord, la location nécessite plus d’effort pour un distributeur. Dans un marché où quasiment tous les flippers neufs se vendent, et bien souvent sont commandés avant même d’avoir été produits, pourquoi s’embêter à entretenir un parc de machines ? L’achat « New in Box » représente le modèle le plus simple à mettre en place : la garantie est celle du constructeur et il n’est pas indispensable de savoir réparer une machine pour la vendre.

De plus, comme nous l’explique François de Loisirs et Techniques à Bordeaux : « A vrai dire, généralement, j’oriente le client plutôt vers un achat qu’une location en lui expliquant que la décote liée à l’achat d’un flipper sera toujours inférieure au coût mensuel d’une location ». Un point intéressant, empressons-nous de le développer.

Une partie des flippers en exposition chez Loisirs et Technique

Des flippers d’occasion qui perdent peu en valeur

A tous ceux qui ont tenté d’acheter un flipper récemment, il n’aura pas échappé que les prix s’envolent ces dernières années. Une machine récente va certes perdre un peu de valeur les premières années, mais avec un entretien approprié, les prix à la revente se stabilisent assez rapidement.

Si vous avez misé sur un thème devenu « légendaire » depuis, il est même possible que vous fassiez une opération blanche, voire une plus-value en étant patient(e). Hors les frais et le temps d’entretien, bien sûr.

Dans ces conditions, une location se heurte au discours que l’on entendra également dans l’immobilier : la location revient à jeter de l’argent par les fenêtres.

La concurrence des auto-entrepreneurs

Quand on est un professionnel comme High Voltage ou Loisirs et Techniques, les charges récurrentes sont celles d’une entreprise. Or, il n’est pas compliqué pour un particulier qui possède quelques flippers de monter une structure au format auto-entrepreneur, pour laquelle les frais et la fiscalité sont allégés.

La différence ? Le premier vit de son activité (généralement adossée à une activité connexe proche comme la vente ou la location d’autres machines de bars ou de salles d’arcade), alors que l’auto-entrepreneur en fait un revenu d’appoint.

No Good Gofers - Loisirs et Techniques
Loisirs et Technique a quelques raretés en stock.

Les garanties et la maintenance peuvent également varier. La fiabilité et la pérennité de l’enseigne auprès de laquelle on loue se valorisent également.

Résultat : « Un auto-entrepreneur facture à 100/150 € TTC alors qu’un pro sera plus entre 200 à 300 € TTC, hors transport », nous indique François. Cette fourchette se pratique d’ailleurs chez Joana et Stéphane Pino : « Nous travaillons avec trois types de contrats. Contrat de location d’un mois, de trois mois et de six mois. Les tarifs sont de 266,20€ pour un mois, de 242,00€ par mois pour trois mois et de 220,00€ par mois pour six mois. Les seuls frais d’installation à prévoir sont les frais de transport. » Vous retrouverez toutes ces infos sur le site de High Voltage Pinball.

Les professionnels ont donc tendance à privilégier la location à des agences événementielles par exemple. Celles-ci s’adressent généralement à des commerçants ayant pignon sur rue. Par ailleurs, le prix pratiqué entre professionnels pour une soirée peut dépasser largement le prix d’un mois de location à un particulier. Les exigences ne sont en effet pas comparables.

Le transport et la maintenance

Dernier point de mon antithèse, avant de passer à une synthèse plus positive : l’exploitation d’un parc de machines réparti sur tout un territoire.

Chez HVP, « nous nous limitons à l’ensemble du territoire belge. Cependant, pour les clients se trouvant au-delà de 150 km de notre siège social, pour des raisons de logistique, la durée du contrat de location doit être au moins de trois mois. Lorsque nous avons des demandes que nous ne pouvons pas honorer à cause de la distance, nous essayons de rediriger le client vers des professionnels qui sont susceptibles de pouvoir leur offrir le même service. »

Et concernant les frais de transport et d’installation : « dans un rayon de 30 km autour de notre QG, nous les offrons. Pour une livraison en dehors de ce périmètre, nous établissons un devis en fonction des kilomètres que nous devons parcourir pour livrer la machine. »

« Le transport et l’installation sont assurés par nos soins. C’est Stéphane qui se charge d’installer et d’expliquer aux clients le fonctionnement de la machine. Il n’est pas avare de conseils sur le gameplay non plus. »

Installation par High Voltage chez un particulier

Et comme un incident sur une machine peut survenir, « nous intervenons sans frais supplémentaires pour le client. Nous essayons d’intervenir au plus vite et si ce n’est pas possible, et que la machine reste à l’arrêt, nous prolongeons le contrat de location à raison du nombre de jours d’arrêt. »

Pour HVP qui nous confiait avoir entre 15 et 20 flippers en rotation, la charge de travail, même en considérant que les pinballs ne tombent pas en panne, semble importante, surtout si la durée de location est courte.

Les « tournées » que la location nécessite rappellent celles de l’époque des machines en exploitation. Mais avec des revenus sans commune mesure !

Malgré tout, une location qui soutient la vente sur le long terme

OK, nous avons bien énuméré tout ce qui freine le modèle à la location : la facilité du New In Box, peu de décote à la revente, la concurrence des auto-entrepreneurs, la logistique d’un parc essaimé aux quatre vents (oui, je fais à nouveau dans la prose, c’est plus fort que moi).

Mais alors, pourquoi Stéphane et Joana s’embêtent-ils avec ces locations ?

« La fidélisation de notre clientèle, la démocratisation et la popularisation du flipper. La location permet de donner l’accès aux personnes qui n’ont pas forcement le budget pour un achat, de faire essayer les nouveaux modèles aux collectionneurs et de faire découvrir le flipper aux jeunes générations qui ne les ont pas connus dans les cafés. »

Et bien oui, gros scoop messieurs dames ! Tout n’est pas qu’une question d’argent ! Faire vivre notre passion, la partager avec le plus grand monde, est aussi un objectif en soi.

Honnêtement, hormis pour les plus gros acteurs américains, qui peut dire qu’il s’enrichit aujourd’hui grâce à son activité autour du flipper ? Dans le meilleur des cas, on gagne sa vie avec un salaire décent, dans le pire on dépense plus qu’on ne reçoit.

Tous les professionnels qui ont poursuivi ou commencé leur activité pinball après les années 1990 ont d’autres motivations que l’appât du gain facile. Ou sinon il faut qu’ils relisent « l’analyse de marché pour les nuls ». Même si le secteur connaît une embellie ces dernières années, on ne peut pas parler d’Eldorado.

De manière plus stratégique, faire connaître le flipper entretient l’existence d’une clientèle sur le long terme. Celle-ci profite à tous les acteurs du secteur. Remercions ceux qui contribue à cet effort !

Une démocratisation bénéfique pour tous

La démocratisation par la location qu’évoque HVP s’appuie donc sur plusieurs leviers : comme nous le disions au début de l’article, elle rend financièrement accessible des machines qui ne l’étaient pas. Tout le monde n’a pas la trésorerie qui convient.

Ensuite, je me reconnais complètement dans l’avantage qui suit : bénéficier d’une machine sans rien avoir à connaître de ce qui se passe sous le playfield. C’est vrai, quoi ! On ne sait pas comment fonctionne une télé HD et cela ne nous empêche pas de regarder des films dessus. Pourquoi devrions-nous nous farcir l’entretien d’une machine fragile ? Malgré les tutos très clairs de Lazarus, j’ai réussi à faire tomber le plateau de son Tortues Ninjas au fond de la caisse au moment de le tirer. La panique !

Désolé mais pour ce prix, on s’attend à des mécanismes de sécurité comme quand on ouvre le capot d’une voiture. Ainsi l’argument « allume et joue, tu s’occupes de rien, je s’occupe de tout », je valide. Et je ne dois pas être le seul à apprécier ce confort.

Qui plus est, si je n’ai pas envie d’entretenir mon flip’, gérer sa revente encore moins. Il suffit de regarder n’importe quel forum ou page Facebook pour constater que le marché de l’occasion entre particuliers ressemble au Far West. Prix débiles, arnaques, défection des acheteurs… Honnêtement, ça ne fait pas envie. La revente à un professionnel a l’avantage de supprimer ces aléas, mais la décote sera plus sévère.

Je poursuis mon analogie avec l’automobile : même quand la clientèle a l’argent pour acheter cash, elle préfère parfois le système de location longue durée. Elle permet de changer de véhicules tous les ans, et donc d’éviter tous les problèmes d’usure qu’on rencontre à la longue. Le système de Stéphane et Joana permet de profiter d’un flipper récent et d’en changer tous les 6 mois sans frais (à moins de 30KM de leur siège) et sans ennui. Il s’agit d’un avantage qui se paye.

Conclusion : si vous avez les fonds nécessaires, la location vous donne accès à une machine récente renouvelée régulièrement. Si vous n’avez pas la tréso ou les compétences pour l’entretien, c’est une alternative pertinente à l’achat.

Louer un flipper : un coup de pouce à la vente

Le dernier argument en faveur de la location est de l’ordre du bon sens commercial.

« Il nous arrive de louer un flipper 1 mois ou 2 pour faire découvrir ou finir de convaincre un client », nous confie François. Même quand un professionnel n’annonce pas louer ses machines, nécessité fait loi. Le prêt sécurise parfois une vente.

Chez Loisirs et Technique, on trouve aussi des baby foot, des billards et des jukebox !

On s’approche de la fin de cet article. Comme les obstacles à la location ont eu leur récapitulatif, les arguments « pour » auront le leur : partager une passion avec une nouvelle audience, entretenir une clientèle sur la durée, soustraire tous les freins à l’usage pour les non-hardcores, avoir chez soi une machine toujours récente, et pour finir appuyer un processus de vente. C’est déjà pas mal, non ?

Dans tous les cas, l’équipe High Voltage observe que son parc en location est 100% exploité, les clients se ruent dès qu’une machine se libère.

Conclusion et ouverture

Une dissertation se termine toujours par une conclusion qui élargit le débat, alors je me lance : si la location n’est pas encore le modèle dominant, elle a des arguments pour le devenir.

Plus la clientèle sera nombreuse, moins les zones d’intervention de chaque acteur nécessiteront de couvrir un plat pays entier. La location deviendra alors intéressante pour des professionnels qui hésitent pour le moment à sauter le pas.

Encore une preuve, quoi qu’en disent les grincheux, que l’élargissement de notre communauté bénéficiera à tous sur le long terme.

Nick_O
Nick_Ohttps://pinballmag.fr
Collector of friends who have pinball collections.

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