Syl Vain l’écrivait dans son article sur The Flintstones : il fut un temps où les fabricants de flipper misaient sur des licences improbables. Et cela ne présageait en rien de la qualité du flipper, ce qui reste une source d’étonnement pour moi.
Dans le jeu vidéo, une licence de film a 90% de chance d’être transformée en grosse « game-bouse ». Si on zoome sur les licences de mauvais film, le taux d’horreur vidéoludique monte à 99,99%.
Donc un flipper inspiré d’une licence de jeu vidéo ??? Si Pinball Mag. avait existé au début des années 2000, nous l’aurions pris en grippe dans nos podcasts avant même la première photo pixelisée de la machine. De plus, les tentatives précédentes, comme Street Fighter II ou les deux Mario, tous sortis des usines Gottlieb, n’avaient pas particulièrement marqué les esprits 10 ans auparavant.
Et pourtant, RollerCoaster Tycoon est une machine réussie, même si le pari semblait osé.
Sommaire
- 1 Le jeu vidéo RollerCoaster Tycoon : simulateur de montagnes russes qui font vomir
- 2 La naissance du genre « tycoons »
- 3 Comment transformer un jeu de gestion en flipper ?
- 4 Ce bon vieux Pat Lawlor au design
- 5 Faisons le tour du plateau
- 6 Un code simple comme « bonjour, un hotdog s’il vous plaît »
- 7 Le Wizard Mode en est-il vraiment un ?
- 8 Le troll sorti de nulle part
- 9 Le skillshot des mous
- 10 Le flipper grand public par excellence
Le jeu vidéo RollerCoaster Tycoon : simulateur de montagnes russes qui font vomir
Donc notre pinball est tiré d’un jeu vidéo. Et nous passons d’étonnement en stupéfaction : il s’agit d’un jeu de gestion ! Façon Sim City si vous voulez, même si ça me fait mal de simplifier à ce point. Je vois bien que tout le monde ne suivra pas si je ne fais pas de grosses catégories.
Dans le jeu vidéo sorti en 1999, vous êtes le gérant d’un parc d’attractions. Vous devez acheter des manèges pour tous les publics, dessiner le plan du parc, concevoir les files d’attente, disposer des stands de boissons et friandises, définir le prix des entrées, embaucher le personnel… Bref, être le boss, et râler sur le fait que « y a plus de petit personnel, les jeunes d’aujourd’hui n’ont plus le sens du travail, regardez-les réclamer une augmentation alors qu’ils n’ont même pas encore fait leur preuve ». C’est bien quand les rôles sont inversés, non ?
OK, l’univers est sympa et le gameplay est riche sans se prendre au sérieux. Mais le « vrai plus » réside dans la conception des montagnes russes : le joueur/gérant peut créer ses propres grand huit et autres Big Thunder Mountain ! Dans la limite de son budget disponible, il pose section par section les rails sous son train. Une fois l’attraction terminée, un essai est réalisé et des statistiques de sensation et de nausée sont restituées. Le but est alors de concevoir un parcours qui donne des frissons mais pas la gerbe !
La naissance du genre « tycoons »
Avec ce premier jeu, les « tycoons » ont trouvé leur étalon. Il y en eut d’autres avant, et non des moindres comme railroad tycoon, mais la démocratisation du genre a démarré avec ce parc d’attractions virtuel. La formule sera déclinée avec plus ou moins de succès : Rollercoaster Tycoon 2 puis 3, Zoo Tycoon et d’autres moins mémorables.
D’ailleurs, la sortie du flipper coïncide avec le deuxième opus du jeu, et les Marketeux de chez Stern communiquent sur les ventes du premier dans leurs flyers.
Encore aujourd’hui les variantes autour du principe « tycoon » sont nombreuses. Des éditeurs indépendants entretiennent toujours la flamme pour les acharnés de la gestion d’établissements en tous genres.
Comment transformer un jeu de gestion en flipper ?
Comment réussir un flipper avec un tel matériau de base ? Mmmh, voyons voir… Le jeu vidéo est sympa grâce aux montagnes russes. Un flipper est sympa grâce, notamment, à ses rampes. Eurêka ! Faisons en sorte que les rampes ressemblent à des montagnes russes !
Là est le gros point fort de la machine : ses rampes de toutes les couleurs sont faites de circonvolutions originales. La plus surprenante part du fond du plateau, le parcourt par la droite de haut en bas, passe au-dessus des batteurs pour finir sur la lane de gauche. De là, la bille est renvoyée au fond du plateau, ou est « lockée » pour le multibille selon le contexte.
La première fois, on glousse d’étonnement et de plaisir. A elle seule, cette rampe rend ce flipper mémorable.
Les deux autres rampes colorées ne vont pas aussi loin dans le délire, mais tournicotent suffisamment pour rivaliser avec les meilleures de l’industrie. Le plaisir est présent, sans aucun doute.
Ce bon vieux Pat Lawlor au design
Il n’y a pas de secret : quand on veut une machine originale, on demande à Pat Lawlor, le génial créateur de Twilight Zone et de l’affreux FunHouse.
En 2000, Pat rejoint Stern Pinball avec sa garde rapprochée, notamment John Youssi aux artworks. Sa première machine est Monopoly. Encore une licence toute cheloue, mais encore un flipper qui mérite d’être découvert d’après ce que j’en ai entendu.
RollerCoaster Tycoon est donc sa deuxième machine dans l’équipe de Gary Stern.
Faisons le tour du plateau
Nous avons parlé des rampes. Elles sont au nombre de quatre, chacune avec un nom d’attraction de fête foraine : The Flying Ghost, The Rocket, The Flying Turns, The Chicago Loop. 3 sont en couleur (rouge, bleu, jaune), la dernière est qualifiée de « grand huit inversé », ce qui, je l’avoue, ne saute pas aux yeux quand on regarde le playfield. Il s’agit en réalité d’une rampe abrupte qui fait faire un 180° à la bille. Un peu d’exagération ne va pas nous tuer.
Signalons la présence d’un 3ème flipper au milieu à droite, qui permet d’accéder aux bumpers et aux cibles tombantes du fond.
Un petit écran DMD affiche des informations utiles au joueur, et notamment le nombre de visiteurs du parc. Il s’agit d’un indicateur important car votre score en dépend, il augmente à mesure que vous enchaînez les rampes, dégommez les cibles… Du très simple. Parlons-en d’ailleurs.
Un code simple comme « bonjour, un hotdog s’il vous plaît »
Personnellement j’aime les flippers faciles à appréhender, ceux dont les objectifs apparaissent évidents dès la première partie. Cela ne veut pas dire qu’ils manquent de profondeur ou de difficulté.
Ici, les règles me caressent dans le sens du poil : vous devez accumuler le plus de visiteurs possibles. A peu près tout ce qui se trouve sur le playfield remplit la jauge. Elle est restituée sur le mini-écran DMD. Grosso modo, les visiteurs et les points suivent la même progression.
L’enjeu gagne en clarté lorsque tout ce que vous faites (cibles, rampes) vous fait progresser. Faire circuler la bille le plus longtemps possible devient un objectif en soi. Tu joues longtemps, tu parcours le plateau dans tous les sens, tu sauves ta bille régulièrement, tu es récompensé ! C’est quand même pas compliqué ! Pourquoi s’embêter ?
Les multibilles deviennent disponibles à mesure que vous « construisez » vos montagnes russes, c’est-à-dire que vous empruntez les rampes correspondantes.
Le Wizard Mode en est-il vraiment un ?
A côté de cela, des missions nommées FUN modes, une fois complétées, vous font accéder au Wizard Mode : le Park Tycoon.
A ce moment, le nombre d’invités dans le parc se fige. Cette ultime mission chronométrée consistera à parcourir les rampes et une zone particulière du plateau, le Scrambled Egg. Le nombre de points dépendra également du nombre de visiteurs accumulés avant le démarrage de la mission. A la fin de celle-ci, la jauge de visites se remet à zéro, ainsi que votre construction de montagnes russes. Et vous êtes repartis pour un tour.
Certains ne considèrent pas le Park Tycoon comme un wizard mode, peut-être parce qu’il peut être atteint sans avoir terminé toutes les autres missions, et peut-être parce qu’il est avare en points si vous n’avez pas pris le temps de bien remplir votre parc d’invités en amont.
Mouais… Une mission conditionnée par l’achèvement d’autres, et qui plus est en réinitialise une partie, moi je dis que c’est un wizard mode. Peu importe.
Le troll sorti de nulle part
Une figurine Troll trône dans son tonneau de flotte au fond du plateau. Pour ceux qui ne se souviennent pas d’eux, les Trolls étaient de jouets en forme de petits elfes mignons à force d’être vilains, avec des cheveux colorés dressés sur la tête. Les enfants les collectionnaient à l’époque.
Quel rapport avec le thème, me direz-vous ? L’attraction fait référence à celle qu’on trouve dans les foires traditionnelles du Nouveau Continent, où les visiteurs peuvent faire tomber un personnage patibulaire dans une piscine en visant juste. « Dunk The Dummy », comme ils l’appellent.
Mais pour ce qui est du Troll, aucune idée. Stern devait avoir un stock qui traînait. En tous cas, il n’y a aucun lien avec la licence. D’ailleurs, l’attraction elle-même n’est pas présente dans le jeu vidéo.
Le skillshot des mous
Si on y réfléchit bien, il n’y a pas cent types de skillshot différents (NDR : un skillshot est un « coup spécial » qui se déclenche dans les premières secondes de la partie). La première catégorie vous demande d’aligner un insert lumineux avec la trajectoire de la bille à l’aide des batteurs (comme sur Monster Bash par exemple). La deuxième vous demande de viser une rampe rapidement (façon Tortues Ninja de Stern).
La dernière vous demande de doser votre tir au lance-bille. Sur le Elvira’s House of Horrors entre autres, vous pouvez même obtenir un super skillshot en faisant entrer la bille par la porte secrète cachée derrière le manoir.
Dans cette seconde famille, il y a la sous-famille du « tir mou ». Le tir mou, vraiment ? Quel est l’intérêt de devoir lancer mollement sa bille pour qu’elle parcourt le tiers du plateau, qu’elle redescende ensuite et emprunte un diverter qui la dépose généralement peu gracieusement sur le batteur de droite ? Non mais je vous le demande ? Il est où le fun, là ?
Rollercoaster est un de ces flippers mous du skillshot. Pat me déçoit, parfois. M’en fous, je bouderai ce début de partie dégénéré.
Le flipper grand public par excellence
J’aime écrire des articles sur des flippers retro, car on bénéficie des avis des propriétaires qui ont acheté et revendu la machine. En l’occurrence, la raison pour laquelle ce flipper a quitté certaines gamerooms est claire : des règles trop simples, un jeu trop facile.
Ceux qui apprécient ce pinball en vantent les rampes tortueuses, les sons et les call-outs, et se déclarent eux-mêmes des joueurs « casual ». Ceux qui le conspuent pointent du doigt son code très léger, et le peu de respect avec lequel il s’est approprié la licence.
Tout le monde a raison, personne n’a tort. Quelque part, ce flipper a raté sa cible, son époque. Etant conçu au début des années 2000, il aurait pu, ou aurait dû être pensé pour les foyers. Mais il fut résolument tourné vers des salles d’arcade qui disparaissaient plus vite que la banquise.
C’est facile à dire a posteriori, me direz-vous. Mais permettons-nous d’être exigeants quand on parle d’un des meilleurs designers de tous les temps et du patron le plus clairvoyant de l’histoire du flipper.
En deux mots, résumons ce flipper : une machine amusante, facile à comprendre, mais qui ne fait pas grand cas de l’univers de sa licence.