Ils ont détruit des flippers !

L’histoire du flipper est chaotique. Plusieurs crises l’ont secouée et ont mis en péril l’existence même du secteur. Le marché a été plusieurs fois menacé, mais en plus de cela les machines elles-mêmes ont souffert durant ces périodes.

La question se pose : combien reste-t-il de flippers des décennies précédentes ? Nous nous focaliserons sur les machines des années 90, période pour laquelle les données nous paraissent fiables.

Les périodes où on a détruit des flippers

On peut identifier 3 périodes où les flippers sont passés à la casse, toutes dans un contexte différent.

La prohibition du flipper aux Etats-Unis

A partir des années 1940 et jusqu’en 1976, le flipper était interdit dans plusieurs Etats d’Amérique du Nord. Considéré comme un jeu de hasard par les autorités, il fut banni comme le furent les machines à sous. L’optique était de réduire les sources de revenu du crime organisé.

Il faudra attendre la démonstration de Roger Sharpe pour que le conseil municipal de New York reconnaisse qu’il s’agissait désormais d’un jeu d’adresse plus que de hasard.

Entretemps, les autorités ont détruit, à grand renfort d’images choc, des montagnes de machines mécaniques et électromécaniques.

La crise du jeu vidéo de 1983

En 1983 démarre la plus grande crise que le jeu vidéo ait connu. Inondé par des centaines de copies peu inspirées des célèbres jeux pong, Pac-Man et Space Invaders, le marché s’écroule sous le poids de tonnes de jeux sans intérêt. Ils entament fortement la confiance des joueurs.

Le flipper en fait les frais, partageant les mêmes lieux publics que les bornes d’arcade. Des fabricants ferment. Si la destruction de machines n’est pas aussi flagrante durant ce krach que pour les autres, elle est peu contestable.

L’effondrement du flipper à partir de 1999

Pour la génération actuelle de joueurs de flipper, la fin des années 90 et le début des années 2000 persistent encore dans les mémoires.

Des changements sociétaux prennent leurs racines quelques années auparavant : la pratique vidéoludique se recentre sur les consoles de salon. Peu à peu, les salles d’arcade ferment, réduisant la demande en machines.

Le phénomène concerne aussi les bars et les bistros, qui préfèrent récupérer les mètres carrés occupés par les flippers pour la consommation de boisson. Concrètement, il est alors plus rentable d’avoir 2 tables pour faire assoir les consommateurs qu’un flipper.

Pas assez de repreneurs de flippers

Un marché qui s’écroule ne veut pas forcément dire que les produits disparaissent du marché de seconde main. Alors pourquoi les machines des années 90 ont-elles été détruites ? Pour plusieurs raisons :

  • Des exploitants ont mis la clé sous la porte, laissant les machines chez les gérants de bars ou de salles de jeux. Ces derniers, ne sachant pas quoi faire des machines, les ont tout simplement mis à la poubelle, quand ce n’était pas l’exploitant lui-même qui s’en chargeait.
  • Il y a bien évidemment eu des repreneurs de machines, qui les ont récupérées à bon prix. Mais ils n’étaient pas assez nombreux pour toutes les rapatrier.
  • Le marché du particulier était balbutiant. Il faudra environ 10 ans pour que celui-ci se structure et puisse absorber des quantités significatives.
  • Les salles de jeux étaient un lieu idéal pour blanchir de l’argent sale, puisqu’on y manipulait uniquement des pièces de monnaie. Certains propriétaires crapuleux n’ont pas hésité à incendier leurs locaux, avec toutes les machines dedans, pour toucher l’argent des assurances.
Suspicious fire at Coney Island Building 2010

Les sinistres et le temps qui passe

A toutes ces crises s’ajoute l’usure naturelle d’un appareil électronique. Les composants se corrodent. Ajoutez à cela le fait que l’objet est encombrant, et vous le retrouvez désossé dans les granges avec un nid de poule par dessus. Les inondations et les incendies ont également prélevé leurs quotas de machines.

Flippers brûlés
Une collection de flippers partie en fumée

En fait, il est surprenant qu’il reste encore autant de flippers de plus de trente ans à l’heure actuelle. En proportion il ne reste pas autant d’ordinateurs de l’époque ! Mais cela s’explique :

  • Contrairement à un PC, un flipper ne « périme » pas vraiment. Le plaisir de jeu reste intact quelque soit l’âge de la machine.
  • Les flippers ont été conçus pour être robustes, et leurs composants également. Cette simplicité leur a toujours donné un fort indice de réparabilité. Comme pour les vieilles voitures de collection.
  • Une communauté internationale s’est constituée, aidée par l’essor d’Internet. Elle a permis de préserver les machines en partageant les connaissances pour leur entretien et leur maintenance. A tel point que les réparations « à la sauvage » des exploitants peu regardants des années 90 font rire les Pinheads d’aujourd’hui ! (trombones, chewing-gums, élastiques…)

Estimer le nombre de flippers perdus

OK, nous avons désormais la certitude partagée qu’une partie des flippers produits dans les années a bel et bien disparu. Mais de quel pourcentage parle-t-on ?

L’algorithme de Zex

Zex est un lecteur/auditeur/spectateur de Pinball Mag. qui nous a contacté pour partager son approche originale du flipper. Il est analyste financier de profession. Son métier est donc d’étudier des marchés pour conseiller ses clients dans leurs investissements. Ces analyses s’appuient notamment sur des modèles statistiques visant à expliquer ou prédire ce que les données publiques ne donnent pas clairement.

Amateur de flipper, il a appliqué son expertise au marché du pinball. Un des modèles qu’il a construit lui permet d’évaluer le nombre de machines en circulation, par thème. Ce modèle lui sert à estimer les volumes actuellement produits, car l’information n’est plus publique depuis 2013. Stern Pinball et ses concurrents deviennent cachottiers 🙂

Comment fonctionne le modèle ?

Pour créer un modèle, il faut un jeu de données exploitable. Dans le cas présent, Zex a établi un modèle qui permet d’extrapoler le volume en circulation en fonction du nombre d’inscrits sur le site web pinside qui déclarent posséder le flipper en question.

IDPB (Internet Pinball Database) fournit quant à lui le nombre de flippers produits, du moins jusqu’en 2013. Zex a ainsi pu tester et améliorer son modèle en vérifiant que son extrapolation à partir de pinside coïncidait avec les chiffres fournis par IPDB.

Nous vous passons les détails, l’algorithme est assez raffiné. Beaucoup d’autres paramètres sont pris en compte comme l’année de production, le nombre de reviews, le nombre de comptes actifs sur pinside… Il ne s’agit pas d’une bête règle de trois.

Incendie accidentel entrepot flippers Allemagne 2018
Un Pinhead dépité – son entrepôt de flippers a brûlé – Allemagne – Crédit : german-pinball

L’aberration des années 90

Si ce modèle tourne relativement bien pour les machines à partir des années 2000, il est de moins en moins pertinent à mesure que l’on remonte dans le temps. Le but est donc de comprendre le paramètre qui manque et qui explique les écarts. Ou les paramètres, car les causes peuvent être multiples.

Sans aucun doute, la destruction de machines est LA variable principale qui manquait au modèle de Zex. Mais du coup, en prenant le problème dans l’autre sens, il est possible d’évaluer la part de machines détruites sur les anciens flippers ! Il « suffit » de comparer le volume que donne le modèle avec le volume de production.

La destruction de flippers : les chiffres qui font froid dans le dos

Prenons l’exemple du flipper le plus vendu de tous les temps : The Addams Family. Il a été produit à 20 270 exemplaire à partir de 1992 (sans compter la version GOLD). Toutes les salles de jeux en possédaient au moins un exemplaire.

Le modèle de Zex est sans appel : même en étant très prudent, c’est-à-dire en prenant la fourchette basse des volumes perdus estimés par l’algorithme, environ les deux tiers des flippers The Addams Family auraient été détruits, jetés, mis au rebut !

Prenons ces chiffres avec précaution, retenons les ordres de grandeur plus que les valeurs exactes. Faisons le tour de quelques machines iconiques :

  • Pour Twilight Zone, une grosse moitié aurait disparu
  • Pour le flipper Indiana Jones, les 2/3 seraient définitivement perdus
  • Theatre of Magic s’en sort mieux avec 40% de perte

Moins de disparitions pour les flippers de la fin des années 90

Durant la deuxième moitié des années 90, les volumes de flippers produits ont radicalement chuté. Là où il était fréquent de dépasser les 10 000 unités par modèle, les meilleurs hits se hissaient difficilement au-dessus de 5 000.

Les taux de perte sont moins importants pour les machines de la fin de l’âge d’or. Zex suppose que le faible volume de ces tables a permis au marché naissant de la revente aux particuliers d’absorber les quantités. Passons en revue quelques titres de cette fin d’ère :

  • 15% des flippers Cirqus Voltaire auraient été mis au rebut
  • 10-20% des Medieval Madness
  • 15-20% des Monster Bash
  • 5-10% des Attack From Mars

A noter que pour les trois derniers, les statistiques peuvent être un peu optimistes sur la conservation du parc de machines, car il est possible que les propriétaires des version remakes par Chicago Gaming aient mal référencé leurs produits sur pinside.

Si on met tous ces chiffres bout-à-bout, on peut arriver sans trop se tromper à la conclusion suivante :

La moitié des flippers des années 90 aurait été détruite.

Voilà, c’est moche, hein ?

Et demain, quelle sera la tendance ?

Pour tout amateur, ce constat donne envie de verser une larme ou deux. Mais peut-on espérer que nos flippers Godzilla récents s’en sortent mieux ?

Pas facile à prédire, voici quelques facteurs qui peuvent influencer le sort de nos machines préférées :

  • Le flipper est de moins en moins perçu comme un loisir « bon marché », et à raison. Donc l’objet en lui-même est considéré comme rare, et son image gagne en connotation positive.
  • Comme les propriétaires sont désormais pour la plupart des particuliers, il est possible que la valeur pécuniaire et patrimoniale d’un flipper incite les familles à les conserver ou les vendre, plutôt qu’à les jeter.
  • Les pièces détachées d’un flipper n’ont pas beaucoup d’intérêt désormais. Les composants informatiques ne feraient pas tourner un gros fichier Excel… A moins que les métaux deviennent suffisamment rares pour qu’on veuille les faire fondre pour les revendre, un flipper a plus d’intérêt que la somme de ses éléments.
  • Reste la menace d’une nouvelle crise du marché, qui changerait l’appréciation auprès de la clientèle qui aujourd’hui se les arrache. Mais nous sommes encore loin d’une saturation façon 1983.

Décidément, le secteur du pinball ne laisse pas d’être passionnant ! Cet article est le premier d’une série qui transcrira les enseignements collectés par Zex. Affaire à suivre 🙂

Destruction de flippers annees 50
Nick_O
Nick_Ohttps://pinballmag.fr
Collector of friends who have pinball collections.

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