Souvent un consensus se dégage à la vue des premières images d’un flipper. Pour Pulp Fiction, ce n’est clairement pas le cas. Et autant l’annoncer d’emblée, nous faisons partie des gens qui voient beaucoup de points négatifs. Cela ne nous empêchera pas d’essayer de rester constructifs dans nos appréciations.
Faire un exercice critique est une démarche subjective. Avec la meilleure volonté du monde, se défaire de ses goûts, expériences et vécu est humainement impossible. Donc prenez cette critique pour ce qu’elle est : un point de vue qui se veut le plus argumenté possible.
Sommaire
- 1 Une date de commercialisation étonnante
- 2 Pulp Fiction : le 4ème flipper commercialisé en mars
- 3 Une belle équipe de conception
- 4 KO pour l’artwork
- 5 Pulp Fiction : un flipper alphanumérique
- 6 Une licence Pulp Fiction vidée de son caractère subversif
- 7 Un toy qui fait briller les yeux de Vincent Vega
- 8 Peu d’accessoires, mais exécutés de manière exemplaire
- 9 Un plateau qui risque de décevoir
- 10 Un flipper qui souffle le chaud et le froid
Une date de commercialisation étonnante
Chicago Gaming Company a commercialisé son dernier remake Cactus Canyon en août 2021, donc 1 an et demi avant la sortie du Pulp Fiction. Sur le papier, rien de choquant. Sauf que beaucoup de clients n’ont pas encore été livrés de leurs Cactus Canyon, et voient d’un mauvais œil cette sortie qui risquerait d’allonger encore les plannings.
La vidéo making-off réalisée par l’équipe de Straight Down The Middle donne des explications à ce timing : le concept de ce flipper Pulp Fiction vient de la société Play Mechanix (à la base spécialisée dans les jeux d’arcade), ce sont eux qui ont négocié les droits avec Miramax. Ils ont également été en contact avec Quentin Tarantino, le réalisateur du film, qui a donné la direction artistique globale, à savoir un flipper qui ressemble à une édition des années 70.
Dans l’aventure, CGC a apporté son expertise technique, et est en charge de la production et la distribution de la machine. Donc concrètement, le fabricant n’a pas eu complètement la main sur l’échéance, et les craintes des acheteurs de Cactus Canyon semblent fondées.
Pulp Fiction : le 4ème flipper commercialisé en mars
Nous l’avons déjà évoqué dans d’autres articles, mais ce mois de mars voit se bousculer les sorties de flippers, de 4 manufacturiers différents. Comment cette machine peut-elle tirer son épingle du jeu dans cette cacophonie ? Grâce à sa licence iconique sans aucun doute, mais le parti pris retro la désavantage aux yeux de beaucoup de joueurs.
Son prix plaide néanmoins en sa faveur car il est sensiblement moins élevé que les produits de Stern Pinball ou Jersey Jack Pinball :
- 7 999$ pour les Special Editions
- 9 499$ pour la Limited Edition
Si on compare les versions les plus haut de gamme de tous les fabricants, Pulp Fiction est 3 500$ moins que cher que le flipper Foo Fighters et 5 500$ moins cher que Godfather. Une sacrée différence !
Une belle équipe de conception
Le flipper Pulp Fiction voit revenir Mark Ritchie aux affaires. Cela faisait 26 ans qu’il n’avait pas conçu de pinball, mais il est resté un grand nom dans la mémoire collective durant tout ce temps. Mark travaille depuis plusieurs années chez Play Mechanix.
Le fondateur de la boîte George Petro a travaillé pour Bally/Williams, est crédité aux call-outs de plusieurs flippers dont Fish Tales (1992), et au code de Road Kings (1986). Dans ce contexte, Ritchie et George ont travaillé ensemble pour se retrouver ensuite chez Play Mechanix.
Vous l’avez compris, Mark est au design et George est au code. C’est d’ailleurs une chouette histoire que ce CEO qui a une entreprise à faire tourner mais prend pourtant le temps de participer à un projet qui lui tient à cœur.
Josh Sharpe a défini les règles du flipper, rôle qu’il joue en partie sur d’autres projets, en marge de ses activités chez Raw Thrills (partenaire/filiale de Play Mechanix). Josh est le fils de Roger qui a sauvé le flipper dans les années 70.
Pour finir, l’artwork a été dessiné par Scott Pikulski, game designer chez Play Mechanix. Oups, le monsieur n’est peut-être pas au niveau du reste de la bande.
KO pour l’artwork
Sans aucun doute, l’artwork respecte la demande de Tarantino de retranscrire un look 70’s. Mais il n’est pas réussi pour autant. L’inspiration ne s’est pas faite à partir des meilleurs exemples de la période, on pourrait considérer qu’elle évoque plutôt les traits simplistes des électromécaniques tardifs. On ne parlera pas d’anachronisme, mais d’une décision discutable.
De plus, la composition du playfield ne rend pas hommage à la licence. Le revolver attire l’œil et appose une grosse tâche sombre inélégante au centre du plateau, là où le talent de l’artiste aurait dû s’exprimer.
Le crime ultime de lèse-majesté est le visage de Uma Thurman (Mia dans le film) sur la backglass, à peine reconnaissable. Par ailleurs, sa position la rend statique alors qu’elle devrait insuffler du mouvement.
Pour avoir regardé d’autres créations de Pikulski, je ne lui jetterais pas la pierre. Cet artwork est dans la même veine que le reste de ses créations. Mais l’homme n’est probablement pas celui qu’il fallait pour l’exercice difficile du « faux retro ».
Pulp Fiction : un flipper alphanumérique
Là nous sommes dans l’anachronisme délibéré, façon Ben-Hur avec une montre Casio (je force le trait). La fin des années 70 a vu apparaître les premiers flippers numériques. Numériques, pas alphanumériques qui n’apparaîtront que 10 ans plus tard.
La différence ? Les écrans des flippers numériques n’affichent que des chiffres, alors que les autres permettent les lettres. La nuance peut paraître subtile mais avec l’apparition du texte les jeux ont pu afficher des consignes aux joueurs, et donc complexifier les règles.
Ce choix est bien évidemment assumé. Il permet de concilier la demande du réalisateur et les goûts des joueurs du XXIème siècle. La plupart d’entre nous n’est pas prête à acheter neuf un gameplay trop allégé.
Pour justifier ce choix et d’autres, les designers expliquent s’être autorisés les mêmes libertés avec le thème que Tarantino lui-même avec son film. Celui-ci respire les 70’s, et pourtant les personnages utilisent des téléphones portables.
Il n’empêche, la brève période des flippers alphanumériques était une transition entre le flipper historique (règles simples, machines élégantes) et le flipper moderne (code profond, jeux de lumière). Etait-il pertinent de positionner ce thème dans cet entre-deux un peu bâtard ?
Une licence Pulp Fiction vidée de son caractère subversif
L’univers de Tarantino est violent et choquant. Ce sont deux de ses caractéristiques. Pulp Fiction ne fait pas exception à la règle avec notamment l’usage de la cocaïne par Mia (il s’agit en réalité d’héroïne mais elle le découvre plus tard à ses dépens), l’explosion de cervelle dans la voiture et la scène de viol dans la cave.
Aucune de ces scènes pourtant iconiques n’est reprise dans le flipper. Les fabricants veulent avoir le beurre (la belle licence) et l’argent du beurre (pas d’ennuis avec les moralisateurs). Le flipper Deadpool lui aussi avait été passé à la moulinette de la bisounourserie.
On comprend bien la contrainte liée à l’exploitation dans des lieux publics, où les consignes sur l’âge ne peuvent pas être respectées. Mais sur des thèmes comme ceux-ci, il serait temps que les fabricants proposent un code pour les particuliers et un autre pour les exploitants. Je ne sais pas pour vous, mais je serais prêt à payer un complément pour obtenir des animations et des missions « Director’s Cut ».
Un toy qui fait briller les yeux de Vincent Vega
Au fond à droite du plateau un attaché case fermé est posé devant le buste de Vincent Vega (John Travolta). Tant que la partie n’a pas commencé, cet élément passe inaperçu. Mais sur certaines phases de jeu, il pivote, fait face au personnage, s’ouvre et s’éclaire de l’intérieur, projetant des reflets dorés sur le visage de l’acteur. L’effet est très réussi !
Il ne s’agit pas à proprement parler d’un toy, car il n’a pas d’interaction directe avec le jeu, mais il contribue clairement à mettre dans l’ambiance. Dans le film, deux protagonistes ouvrent cette mallette qui est au cœur de l’intrigue : Vincent Vega et Ringo, le braqueur malheureux qui ne s’en sort pas si mal que ça finalement.
Nous avons donc un mécanisme à la fois beau, surprenant et complètement raccord avec le thème. Un excellent point !
Peu d’accessoires, mais exécutés de manière exemplaire
Bon, il s’agit du seul élément qu’on puisse réellement qualifier de toy. Le hamburger et les bustes sont parfaitement immobiles.
Le deuxième composant qui retient l’attention est le topper, représentant Mia et Vincent dansant pour le concours (vous voyez la scène, non ?). Les deux figurines pivotent, le jeu de lumière est irréprochable, tout comme le décor autour et derrière eux.
On notera également la jolie coin door ainsi que l’intégration élégante des haut-parleurs dans le fronton (pour la version Collector du moins).
D’une manière générale, ce flipper propose peu, mais ce qu’il propose est d’une grande qualité. Le niveau de détail sur le hamburger écrase une bonne partie de la concurrence, et notamment Stern Pinball qui nous a trop souvent servi des figurines même pas dignes d’une imprimante 3D (le Godzilla vert du flipper éponyme, le gant de Thanos du Avengers : Infinity Quests).
Au passage, 5 chansons de la bande originale sont présentes. C’est à la fois peu et déjà pas mal, comme beaucoup d’aspects de ce flipper.
Un plateau qui risque de décevoir
Tout ce qui vient d’être évoqué a probablement masqué le fond du problème à beaucoup d’observateurs. Le playfield ne propose rien de mémorable :
- 4 lanes courtes
- 2 aimants
- une mini rampe raccordée à un scoop pour faire disparaître la bille dans le fronton
- des cibles, certaines tombantes, dont une seule retient la bille
Bien évidemment, un gameplay ne se révèle qu’avec le flipper entre les pognes, mais il n’y a a priori aucune trajectoire qui provoque la surprise.
Les 3 bumpers sont disposés en triangle comme sur 80% des machines des années 70, imposant de facto le reste de l’architecture du playfield comme une resucée de ce qui a été vu des dizaines de fois.
Je vais énoncer ce qui sera pour beaucoup une hérésie, mais je l’assume complètement : le plateau du James Bond 60ème anniversaire est beaucoup plus original que celui de ce flipper Pulp Fiction. Keith Elwin maîtrise les lanes alambiquées, même à plat, bien mieux que Mark Ritchie ne le fera probablement jamais (vu son âge).
Certes, il y a un rapport de 1 à 3 sur les prix qui rend le flipper Pulp Fiction beaucoup plus attractif, mais ce n’est pas de ça dont il est question dans ce paragraphe.
Un flipper qui souffle le chaud et le froid
Cette preview oscille entre des points positifs et négatifs, sans qu’il soit évident de pouvoir donner un verdict définitif. La machine respire le goût du travail bien fait avec des finitions qui forcent l’admiration, mais la Direction artistique comme les partis pris de conception ne rendent pas justice à la licence. Et Tarantino lui-même porte sa part de responsabilité !
La collaboration entre CGC et Play Mechanix a été si imbriquée qu’il est difficile de savoir exactement qu’est-ce qui est dû à qui. Mais si je devais tenter ma chance, je dirais que tout ce qui est réussi porte la marque de CGC, et ce qui est plus hasardeux celle de Play Mechanix.
Il faudra juger tout ça sur pied, mais je me permets d’être pessimiste.