Le flipper ou le Marketing de la nostalgie

Il y a plein de façon de vendre un produit en tablant sur nos émotions. Le Marketing de la nostalgie s’appuie sur nos souvenirs d’enfance, d’adolescence pour nous faire acheter… Souvent, le temps embellit les images de cette période, notre mémoire n’en garde que les meilleurs moments. Les premières fois sont gravées dans notre cerveau, nous en gardons des images à la fois nettes et enjolivées. Tout ce qui ravive ces instants est donc cher à nous yeux. Et donc on achète !

N’oublions jamais l’ignominie des 80’s.

Nous savons de quoi nous parlons : l’équipe Pinball Mag. est composée de quadragénaires. Nous sommes PILE la cible du Marketing de la nostalgie dans le monde du flipper. Celui-ci, vous le savez, a connu sa gloire dans les années 1980 et 1990.

Parce que, en vrai, et juste entre nous, cette période de l’histoire sentait bien le faisandé : des fringues trop larges avec des pantalons à plis, des tailles hautes, des choucroutes sur la tête, l’argent roi avec ses golden boys à vomir, le groupe Début de soirée… Non, il n’y a pas grand chose à sauver. Mais notre cervelle est ainsi faite qu’elle fige une partie de nos goûts avant l’âge adulte.

Des licences qui jouent la carte du souvenir

Passons en revue les flippers sortis ces dix dernières années, si vous le voulez bien. Nous allons les classer par catégorie, parce que j’aime bien les choses rangées, on ne se refait pas. Et vous allez voir que le constat saute aux yeux : les licences datent pratiquement toutes d’avant 2000 !

Non seulement les thèmes datent de notre jeunesse, mais ils ciblent une frange très spécifique des quadra : les hommes occidentaux. Les constructeurs exploitent des univers qui leur parlent, qu’ils savent exploiter. Et ils sont comme nous (en plus vieux, un peu comme des papas du flipper quoi).

Allez, faisons l’inventaire de ce que l’industrie nous a produit lors de la dernière décennie.

Les remakes

Chicago Gaming en a fait son fond de commerce : Medieval Madness, Attack From Mars, Monster Bash, des licences initialement sorties entre 1995 et 1998. On ressort des hits qui ont fait leur preuve, avant le raz-de-marée numérique. Succès garanti auprès du pinhead grisonnant, pas de prise de risque hormis celle de devoir être fidèle à la machine initiale, sous peine d’anathème.

Un flipper de légende, qui a eu droit à son remake comme il se doit

Black Knight et Elvira chez Stern travaillent le même filon, puisque leurs licences datent originellement des années 1980. The Machine: Bride of Pin-bot 2.0 de Dutch Pinball reprend le concept de son aïeul de 1991.

Les licences musicales avec beaucoup de cheveux et de guitares

Si on regarde les flippers sortis par Stern de 2011 à aujourd’hui, voici ce qu’on peut trouver comme groupes de musiques : The Rolling Stones, AC/DC, Metallica, KISS, Aerosmith, Alice Cooper, Iron Maiden, The Beatles, et le petit dernier Led Zeppelin. Ça s’appelle creuser un sillon ! Je vous l’accorde, les Beatles et les Rolling Stones sont moins Hard/Metal que les autres, mais quand même… Difficile de faire plus cohérent pour cibler le mâle blanc né avant 1980.

La backglass de KISS

Rajoutons à cela le Guns N’ Roses de JJP sorti en 2020, et le tableau de chasse du métalleux commence à être bien complet.

Les super héros et autres licences qui font jeune mais qui en fait ne le sont pas

The Avengers : Infinity Quest LE

Une bonne partie des super héros de Marvel ont leur pinball chez Stern : The Avengers, X-Men, Iron Man, Spiderman, Gardiens de la Galaxie, Deadpool. Certes, les films sortent encore en salle aujourd’hui, mais basés sur des Comics trèèèès vieux, cela ne vous aura pas échappé. Ces licences ont l’avantage néanmoins de parler à plusieurs générations, ce que ne font pas les chevelus cités plus hauts.

Alien, Jurassik Park, Star Wars, Star Trek, Transformers, Le Seigneur des Anneaux, Tortues Ninja, le Hobbit, Tron, Ghostbusters touchent également deux générations : celle qui a vu l’original à la télé ou au cinéma, ou même lu le livre, et celle qui a vu sa version récente pleine d’images de synthèse ébouriffantes.

Les licences qui essayent même pas de faire jeune

Celle-là, je l’avoue, c’est la rubrique « bordel divers ». N’empêche qu’elle confirme qu’on a du mal à nous vendre autre chose que des souvenirs :

  • Mustang
  • Wrestlemania (ne me faites pas croire que ça intéresse des Millenials, le catch)
  • The Munsters, fondé sur un show télévisé des années 1960
  • Le Magicien d’Oz
  • Houdini
  • Hot Wheels
  • The Pabst Can Crusher (ne me demandez pas ce que c’est, mais c’est psychédélique dans le thème, avec un dessin de mini-van pour être sûr qu’on comprenne bien l’ambiance)
  • The Big Lebowski (celui-là, il est à cheval puisque le film est sorti en 1998)

Les exceptions qui confirment la règle

Il y a quelques pinballs qui ne tablent pas sur de vieilles gloires. Mais en 10 ans de production, vous avouerez qu’on ne croule pas sous les exemples :

  • Game of Thrones
  • Avatar
  • Dialed In
  • Pirates des Caraïbes
  • Rick and Morty
La licence Rick and Morty, pour le coup c’est de la prise de risque. Bravo Spooky pinball !

Voilà. Je vous passe les trucs WTF façon Oktoberfest, nous sommes des gens sérieux.

Pour finir l’inventaire, Stranger Things relève du coup bas : la licence est récente, mais son univers s’appuie sur l’époque des jeux de rôle et des salles d’arcade du début des années 1980. Donc déso pas déso, les quadra sont la cible. Une des cibles tout du moins.

Une audience Pinball Mag. reflet de cette nostalgie

On critique les constructeurs, mais nous, l’équipe Pinball Mag., ne faisons pas beaucoup mieux pour le moment. Nous tentons d’écrire pour le plus grand nombre, mais à l’heure où nous écrivons ces lignes, force est de constater que nous n’avons pas réussi à faire tomber les barrières :

  • La tranche d’âge qui nous lit le plus est 35-44 ans
  • Les hommes représentent plus de 80% de notre audience

Donc, cher lecteur qui a 80% de chance d’être masculin, nous nous ressemblons. Nous avons traîné ensemble dans les salles d’arcade et dans les bars. Nous avons fumé des clopes en cachette de nos parents quand les paquets ne coûtaient pas encore le PIB de la Grèce. Nous nous sommes entassés dans les arrières-salles des cafés pour jouer au flipper et au baby foot. Nous avons pipeauté en disant que l’odeur de fumée venait des piliers de bars qui partageaient notre PMU. Bref, nous avons les mêmes codes, les mêmes histoires adolescentes. Les constructeurs les connaissent, car ils les partagent dans leur version américaine.

OK pour le diagnostic, mais est-ce un problème ?

J’espère avoir été convaincant : nos machines tant aimées sont conçues pour nous séduire, nous, et pas vraiment d’autres populations. Elles misent sur les mêmes centres d’intérêt, les mêmes thématiques, qui nous occupent depuis 20 ans. Tant mieux pour nous, me direz-vous. Voilà une industrie qui sait nous parler !

Mais pour combien de temps ? Si on regarde les designers des flippers sortis en 2019 et 2020 :

  • John Borg est un quinquagénaire
  • Keith Elwin est un quinquagénaire
  • Steve Ritchie est né en 1950, donc entame vaillamment sa soixante-dixième décennie
  • Dennis Nordman est sexagénaire
  • Joe Balcer tape dans les 60 ans

Du plus jeune au plus vieux (approximativement, on ne leur a pas demandé leurs passeports) :

La seule exception : Eric Meunier (le designer du Guns) est trentenaire. Autant dire qu’il aura de quoi faire dans 10-15 ans, quand tous les autres seront partis à la retraite ! Il faut se l’avouer : le milieu a du mal à se renouveler, à la fois dans ses thèmes, dans ses leaders, dans ses mécanismes même (cf l’article sur les convergences avec le jeu vidéo). Et nous approchons de la date de péremption.

Après nous, le déluge ?

Si rien ne bouge, le flipper (neuf, moderne, autre chose qu’une antiquité destinée au musée) mourra avec le pouvoir d’achat des actuels quadragénaires. Et comme les prix ne cessent de grimper, un nouvel actif motivé par les licences de la génération précédente doit passer son chemin. Impossible de se payer un flipper neuf ou récent quand on vient de signer son premier CDI, il faudrait investir beaucoup plus que pour sa première voiture !

Personnellement, je ne m’y résous pas : j’aime me dire que les choses que j’apprécie vont me survivre, que ma génération ne lègue pas que des souvenirs du bon vieux temps (qui est tout relatif, comme dit dans l’intro). Si, pour que le flipper perdure, il faut se taper des licences qui ne me parlent pas du tout, je préfère ça à plus de flippers du tout.

Donc si nous voyons débarquer un pinball « Dua Lippa » ou « La Casa de Papel », ne hurlons pas à l’hérésie ! Cela signifiera que les constructeurs essaient de rajeunir leur audience, et l’annonce s’accompagnera probablement d’une baisse de prix. Sous le capot et sur le playfield, la comparaison ne sera peut-être pas flatteuse côté composants et toys.

Mais si ce changement permet de faire vivre une expérience flipper à nos enfants autrement qu’à travers nos souvenirs et notre portemonnaie, alors le jeu en vaut la chandelle.

Nick_O
Nick_Ohttps://pinballmag.fr
Collector of friends who have pinball collections.

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